Kotan

Excellent. C'était presque fini. Plus que quelques minutes et il l'aurait enfin terminé. Cela lui avait prit toute la nuit et la matinée mais le jeu en valait la chandelle. Malgré ses piètres talents en la matière, il avait réussit à fabriquer quelque chose de correct. On pouvait même dire que c'était assez joli. Tendant l'oreille, il attendait le bon moment pour sortir sans qu'elle ne le voie. Il devait le garder secret jusqu'à dix-sept heures. Heureusement, Erza lui avait prêté sa tente et son matériel. Sans elle, il n'aurait jamais pu le réaliser discrètement et son projet serait tombé à l'eau. Il entendit des voix dehors. Oui, c'était elle. Il écouté attentivement. Elle se rendait à la vallée éphémère pour chasser. Et elle souhaitait y aller seule. Parfait. Il pourrait la suivre et mettre son plan à exécution. C’était une occasion en or. Kotan avait apprit la date par Agnou deux jours plus tôt. Il avait cherché une idée pour marquer le coup et avait donc passé toute une journée à réfléchir. Maintenant que le moment approchait, il était impatient. Il avait remarqué la jeune lieutenante depuis longtemps et attendait une bonne occasion pour se rapprocher d’elle. Kotan plaisait aux filles mais il était quelqu’un de compliqué et ne regardait même pas celles qui cherchaient à lui plaire. Il n’avait d’yeux que pour celles qui lui résistaient. Et pour le moment, c’était Tika. Le jeune homme attendit que les bruits de pas s’éloignent pour sortir de la tente du mage. Il regarda autour de lui. Personne. Après avoir fait quelque pas et inspecté à nouveau les environs, il alla vers la chef du clan et l’avertie qu’il sortait. Elle ne posa pas de question ce qui arrangeait bien le cerf. Il n’aimait pas mentir et surtout pas à sa meneuse. De toute façon, elle avait sûrement comprit pourquoi il avait subitement besoin de se dégourdir les jambes. Enfin, il prit tout de même sa lance qu’il accrocha sur son dos pour ne pas éveiller les soupçons. Comme il n’était pas sortit depuis le jour précédent, il n’avait pas vu qu’il faisait aussi froid et prit au passage un gilet sans-manches en fourrure. Le temps où il se baladait torse-nu était révolu, l’hiver arrivait. Le ciel était couvert et les nuages qui masquaient le soleil étaient de plus en plus sombres. Il allait devoir se fier à la luminosité ambiante pour ne pas accomplir son plan trop tard. En cette saison, la nuit tombait peu après dix-sept heures, cela lui serait assez aisé d’être à l’heure. Mais il fallait se faire discret jusqu’au moment fixé et ça n’était pas vraiment sa spécialité. Il était en effet réputé pour sa force et sa vitesse, pas sa discrétion. Peu importe, il trouverait. Ne dit-on pas que les cerfs sont sages et intelligents ? Et personne ne pouvait dire le contraire. Sauf peut-être… Non, se comporter comme un gamin ne voulait pas dire qu’on était bête, juste qu’on voulait s’amuser à taquiner les autres. Donc il était intelligent. Le soleil n’éclairait presque plus derrière la masse nuageuse mais on pouvait tout de même deviner qu’il était midi passé. Pour mieux suivre la trace de la jolie brune, Kotan se transforma. Le jeune homme blond aux yeux verts laissa place à un élégant cerf aux yeux noirs et aux bois magnifiques. Il était encore plus beau sous sa forme animale mais cela laissait toujours la lieutenante indifférente. Ce jour là, tout allait changer, il en était sûr. L’heure approchait. Le grand cerf avait un odorat plus développé qu’un humain et put donc détecter la trace de la lieutenante. Elle était sous sa forme humaine et n’avait encore rien attrapé. Bizarre pour une chasseresse aussi douée. Elle devait avoir la tête ailleurs ou bien cherchait-elle une prise en particulier. Qui sait, elle voulait peut-être seulement rester seule pour ce jour spécial. Dommage pour elle, Kotan était dans les parages et il ne comptait pas la laisser seule. Le vent redoublait d’intensité mais sous sa forme animale, il n’avait pas froid. Le guerrier continua donc sa filature. Il approchait de la vallée éphémère, il le sentait. Le parfum des feuilles mortes et des derniers champignons emplissait ses narines si bien qu’il faillit perdre la trace de la jeune femme à maintes reprises. Mais à chaque fois, il avait pressé le pas et retrouvé le doux parfum de la lieutenante. En cette saison, il ne restait plus aucunes fleurs. C’était triste, il lui en aurait cueillit quelques unes s’il avait put. Toutes les filles aiment les fleurs, pas vrai ? Même si elle n’était pas tout à fait comme les filles avec qui il passait ses journées, elle ne devait pas être différente au point de ne pas aimer les fleurs. Et sa saison préférée ? Si elle était comme les autres folles dingues, ce devait être le printemps. Mais Kotan aurait juré que c’était l’hiver. Ou l’automne. Mais ni l’été ni le printemps. Il y avait autre chose qui la différenciait des autres. Elle ne pleurait jamais. Et souriait rarement. Elle était autoritaire et froide. Pourtant, quand elle parlait avec Agnou, elle riait et son masque de marbre tombait. Elles étaient si proches toutes les deux. Kotan s’était juré de devenir aussi proche d’elle que l’était Agnou, il lui arracherait un sourire même s’il devait ramper devant elle pour qu’elle accepte de s’ouvrir à lui. Enfin il arrivait à la vallée. Elle était encore colorée de rouge, d’orange et de brun. C’était l’endroit le plus feuillu de tout Silver Wood. Cet endroit avait la particularité de changer très rapidement. A la première neige, toutes les feuilles restantes tombaient mais pas avant. Dès le dégèle, les premiers bougeons s’ouvraient et en été, tous les arbres étaient remplis de fruits juteux. Après les chutes au clair de lune, c’était le plus bel endroit de la forêt. Même si les folles dingues préféraient le champ fleuri. Kotan était quand même un mec, il n’allait pas choisir un endroit plein de petites fleurettes comme lieu préféré. Faut pas exagérer. Il était romantique, dragueur mais pas efféminé. Il se transforma en humain et entra dans la clairière sans faire attention à l’éventuelle présence de Tika. Il regarda autour de lui, rien. Personne. Il avait pourtant suivit sa trace jusqu’ici ! Où était-elle ? Elle ne pouvait pas être loin, il l’avait sentie, elle était dans les parages. Le jeune homme allait se retransformer pour la flairer mais quelque chose lui tomba dessus. Il n’eut même pas le temps de crier qu’il était à terre, un poignard sur la gorge et une main sur la bouche. Son agresseur était une jeune femme brune aux yeux émeraude : Tika.

Tika : La pire tempête de ma vie.

Tika avait passé le jour précédent avec Agnou sur les traces des derniers lapins avant leur hibernation. Bien qu'elles n'en aient attrapé aucun, elles s'étaient tellement amusées qu'elle rentrèrent très tard au camp et, le lendemain, se levèrent peu de temps avant midi.
La lieutenante passa la tête hors de sa tente. Le soleil était très haut dans le ciel et tout le clan était déjà debout. Elle allait devoir se dépêcher si elle ne voulait pas passer pour une marmotte. Elle rentra à l'intérieur, arrangea ses cheveux avec un bandeau, mit sa tunique longue en peau de daim, ses bottes en fourrure de lynx, sa sacoche en peau avec son poignard à l’intérieur, son arc, son carquois remplit et sa cape de fourrure brune striée de noir. L’hiver n’était plus qu’à quelques semaines de là, le temps se rafraichissait et les tenues devaient être adaptées. Bien que cela fut plus difficile de chasser avec de la fourrure sur soit, elle attraperait sûrement plus de proies qu’en restant figée par le froid. Ainsi parée, la jeune femme sortit de son antre pour avertir sa chef.

-Je vais chasser un peu. Je serais dans les environs de la vallée éphémère si tu as besoin de moi.
-Tu organise une patrouille ou tu préfères rester seule ?
-J’y vais seule. La patrouille est déjà partie de toute façon, j’ai dormit comme une vraie marmotte. Bon, je rentrerais tard. A ce soir.

Tika partit donc vers la vallée éphémère. En chemin, elle fut prise d’un énorme doute. Quelque chose la tiraillait. Comme si elle avait oublié quelque chose. Elle inspecta ses affaires, rien ne manquait. Autour d’elle, il n’y avait personne. Pas de détail qui cloche, pas d’odeur particulière. Mais qu’est-ce qui pouvait la travailler autant ? Etait-ce un jour important ? Une bataille se préparait peut-être. Non, les ours et les rats étaient en guerre mais n’avaient pas encore livré de bataille. Tout allait bien et pourtant… Elle oublia ses traquas et continua son chemin en pressant le pas. Sans s’en rendre compte, elle s’était arrêtée pendant sa réflexion. Etrange. Même en ayant dormit jusqu’à midi la fatigue se faisait ressentir. Tika n’avait pourtant qu’une envie : recommencer. Ses longues soirées avec Agnou étaient un vrai réconfort. Avec elle, elle n’avait pas à être froide, elle pouvait être elle-même et s’amuser. C’était comme avec Automne qui malheureusement était partie pour toujours dans les montagnes. Elles n’avaient pas passé beaucoup de temps ensemble mais en quelques minutes, l’ancienne mage avait cerné sa personnalité. Depuis leur première rencontre, elles étaient amies et même si elle n’était plus là, elle resterait à jamais dans la forêt par le biais des souvenirs de la guerrière. Dommage qu’il n’y ait plus qu’une personne avec qui elle pouvait rire aux éclats et montrer ses faiblesses. Etre lieutenante c’était aussi obtenir le respect et la loyauté d’un clan. Elle ne pouvait pas paraître faible devant eux. Etre chef, c’était encore pire. Il fallait avoir à la fois la loyauté, le respect du clan mais aussi l’approbation des ancêtres dans tout ce qu’on faisait. C’est pour cela que chaque moment passé à s’amuser, chaque moment où les grades n’existaient plus, chaque moment où le monde ne pesait plus sur nos épaules était un moment magique qu’on gardait en mémoire de nombreuses années, si ce n’est pour toujours.

Tika arriva à la vallée. Elle ne prit pas tout de suite le temps de chasser. Ce sentiment qu’elle avait oublié quelque chose la tracassait trop. Elle ne sortit pas du couvert des arbres et préféra grimper sur un châtaigné encore très feuillu pour la saison. En haut de son perchoir, elle chercha au fond de sa mémoire ce qui pouvait bien avoir eu lieu ou ce qui allait avoir lieu pour la mettre dans un état pareil. Elle procéda méthodiquement. Peut-être était-ce la présence éventuelle du sans-totem qui l’avait attaquée ? Non, elle n’avait peur de rien au point de la rendre aussi vulnérable, même pas d’un sans-totem sanguinaire très puissant. Quel événement avait lieu à cette période de l’année ? L’arrivée de l’hiver, le début des hibernations, le grand festival des marrons... Non, c’était autre chose. Soudain, un bruit qui parvenait du sol la tira de ses pensées. Un cerf arriva dans la vallée. A sa ramure et à la couleur de son pelage, elle reconnu Kotan. Ses observations étaient justes, car l’animal se transforma pour devenir un grand guerrier blond aux yeux verts. « Mais qu’est-ce qu’il fout là ?! » pensa-t-elle. En colère, elle se jeta sur lui et le bloqua au sol, son poignard sur la gorge et sa main sur sa bouche pour que cet idiot ne fasse pas fuir tout le gibier des environs.

-Qu’est-ce que tu fous là ?! C’est habituel chez toi de suivre les gens quand ils vont chasser ?

Elle s’était montrée très agressive parce que son arrivée l’avait surprise. Quand elle reprit totalement ses esprits, elle se rendit compte que son visage n’était qu’à quelques centimètres de celui du guerrier. De plus, elle avait retirée sa main après avoir parlé pour avoir sa réponse. C’était embarrassant. La lieutenante rougit. Elle s’écarta vivement, se releva et attendit que le cerf en fasse de même. Elle rangea son poignard et se planta devant lui. Heureusement, elle n’était pas petite par rapport à lui, et sa cape lui donnait une touche de majesté en plus. Bien, elle n’avait pas l’air ridicule, c’était déjà ça.

-Donc, tu m’as suivie ou pas ?
-Oui.
-Tu m’as suivie.
-Oui.
-Pourquoi ?
-Parce que.

Génial. S’il ne lâchait pas plus de deux syllabes ça allait être dur.

-Bon écoute. Je suis là pour chasser SEULE ! S-E-U-L-E ! Comprit ? Alors repars de ton côté et laisse moi SEU-LE.

Elle partit vers le SUD en le laissant en plan mais à peine avait-elle fait quelques pas qu’un coup de tonnerre la fit sursauter. Un éclair suivit, puis une pluie diluvienne. Le sol se transformait en boue et les arbres se balançaient dangereusement. Elle ne pourrait plus chasser. Elle se retourna et toisa le guerrier qui n’avait pas bougé d’un pouce. Pire, un fin sourire illuminait son visage. Tika dut hausser la voix pour qu’il l’entende à travers le vacarme de l’orage.

-Il faut rentrer au camp, vite !

S’ils restaient là, ils risquaient d’être frappés par la foudre ou de se retrouver sous un arbre en feu. Il fallait partir vite. Tika avait déjà fait trois pas lorsqu’on lui attrapa le poignet.

A terre, il ne bougeait pas, ne tentait même pas de se relever et encore moins de parler. Tika l'avait surpris mais il ne trouvait pas ça désagréable. A part peut-être le poignard sur la gorge... Elle, au contraire, avait l'air en colère, très en colère :

-Qu’est-ce que tu fous là ?! C’est habituel chez toi de suivre les gens quand ils vont chasser ?

Euh... Qu'allait-il répondre. Oui ? Enfin, non. Ce n'était pas habituel. Il n'était pas comme ça d'habitude mais là, c'était un jour spécial. Tika enleva sa main pour qu’il réponde. Leurs visages étaient si proches, c’était étrange. Kotan n’avait jamais ressenti cela. S’aurait été une autre fille qu’il avait dans son viseur, il l’aurait déjà embrassée mais là, non. Il était... mal-à-l’aise et en même temps super heureux. Il n’avait jamais ressenti cela. Son seul désire était que cet instant dure le plus longtemps possible. La lieutenante sembla moins furieuse. Elle le regarda et ses joues prirent une teinte rosée. Tiens, tiens... Elle recula et se releva avant de lui reposer la même question de manière plus civilisée :

-Donc, tu m’as suivie ou pas ?
-Oui.
-Tu m’as suivie.
-Oui
-Pourquoi ?

Hum, question piège. Il ne pouvait pas lui dire pourquoi sinon son plan serait un échec. Mais s’il lui mentait, ce serait mal. Surtout qu’elle était lieutenante et que... C’était dur à expliquer mais il voulait être honnête avec elle. Il n’aurait pas supporté de lui mentir ou d’être méchant avec elle, c’était impensable. Pourtant, il ne se gênait pas pour inventer des excuses idiotes afin d’échapper aux furies blondes qui peuplaient le camp. Il devait user de la naturelle intelligence des cerfs. Une réponse évasive ? Non. Il fallait trouver encore mieux. Oui, il avait trouvé. L’éternel :

-Parce que.

Parfait. Elle avait l’air d’essayer de se contrôler. Elle était si belle en colère. Comme elle était sensée chasser, faire fuir toutes les proies en lui criant dessus était une mauvaise idée. Kotan leva les yeux au ciel. Bientôt. Mais les nuages étaient gorgés d’eau et menaçaient de déverser leur contenu sur eux à tout instant. Il devait l’empêcher de rentrer au camp. Il voulait que personne ne soit au courant de son plan et devait donc rester seul avec elle. La guerrière inspira un grand coup et sembla faire un effort surhumain pour que son poing ne voyage pas jusqu’au visage du guerrier cerf.

-Bon écoute. Je suis là pour chasser SEULE ! S-E-U-L-E ! Comprit ? Alors repars de ton côté et laisse moi SEU-LE.

Pas la peine d’épeler, il avait comprit. Mais ce n’est pas parce qu’il avait comprit qu’il allait lui obéir. Elle était lieutenante mais pour aujourd’hui, une petite entorse au règlement était nécessaire. Soudain, le tonnerre gronda et un éclair descendit du ciel pour toucher le sol à quelques mètres d’eux. La pluie suivit aussitôt. Elle était si forte que les gouttes lui giflaient le visage et ça empirait. Le sol, auparavant sec, était plus humide que le marécage des rats et les arbres semblaient prêt à s’écrouler sous les assauts répétés du vent et de l’eau. Les cheveux du jeune homme volaient dans tous les sens, il voyait à peine devant lui. La voix d’une femme lui parvint :

-Il faut rentrer au camp, vite !

Non ! De toute façon, ils seraient déjà gelés avant même d’apercevoir le camp. Il y avait environ trois tempêtes de cette ampleur chaque année. La précédente avait été si terrible que toute la forêt avait été ravagée et que de nombreux guerriers avaient périt ; notamment des chefs de clan. Il attrapa le poignet de la jeune femme et la ramena vers lui :

-C’est trop tard. Il vaut mieux s’abriter dans une grotte. Il y en a une tout près. Suis-moi !

Il la tira vers le fond de la vallée. Une falaise rocheuse délimitait le territoire des cerfs. Derrière, il y avait la mer. En effet, plusieurs grottes avaient été creusées par le temps dans cette falaise. Kotan écarta ses cheveux de son visage pour y voir plus clair et repéra une grotte assez grande pour qu’ils puissent y rentrer tous les deux. Une fois à l’intérieur, le bruit sembla s’assourdir. Les parois rocheuses les protégeaient de la pluie, les éclairs et leur permettait de parler tranquillement car les sons venant de l’extérieur était étouffés par l’épaisseur de la pierre. Ils allaient pouvoir rester ici jusqu’à le fin de la tempête. Et comme si quelqu’un avait voulut augmenter encore son bonheur, un framboisier où pendaient quelques fruits poussait à l’entrée de leur abri. Tika enleva sa cape trempée. Elle avait eu la chance de rester sèche en dessous de sa cape de fourrure, ce n’était pas du tout le cas de Kotan qui n’avait qu’un pantalon et un veston. Au fond de la grotte, il y avait beaucoup de pierres et de bois mort provenant des ancêtres du framboisier. Il fit donc un feu. Il récolta les quelques framboises qui avaient résisté au froid. Il y en avait tout de même une bonne poignée. Il en donna la moitié à Tika et ils mangèrent ensemble.

-Tu sais ce qu’il y a aujourd’hui ?

Il voulait savoir si elle se souvenait de l’événement ou non. Si c’était non, la surprise serait totale. Si c’était oui, il aurait quand même la joie d’accomplir ce qu’il avait préparé.

-De quoi tu parles ?
-De l’événement qui n’a lieu qu’une fois par an en automne.
-Mais crache le morceau !
-Dans dix minutes.

Elle grogna. Elle ne devait même pas se douter que ça la concernait. Génial. Pendant dix minutes, ils mangèrent en silence et lorsque toute lumière disparut dans la grotte hormis celle générée par le feu il se posta près d’elle et lui chuchota en déposant son présent sur ses genoux :

-Bon anniversaire Tika.

Tika : Anniversaire dans une grotte.

Elle se tourna vers lui et tenta de retirer son poignet mais il le tenait trop fort. Il l'attira vers lui et dit :

-C’est trop tard. Il vaut mieux s’abriter dans une grotte. Il y en a une tout près. Suis-moi !

Elle le suivit en courant. Ils arrivèrent au pied d'une falaise rocheuse. Une grande grotte était accessible si l'on sautait par dessus un petit ruisseau. Ils entrèrent et Kotan fit un feu. Pendant ce temps, Tika enleva sa cape qui était gorgée d'eau. Mais au moins elle, elle était sèche... Presque sèche. La lieutenante essora ses cheveux et examina leur abri. Un petit framboisier poussait à l'entrée de la caverne et elle put remplir sa gourde en la plaçant sous la pluie. Il faisait chaud et l'air sentait bon la framboise. Finalement, ce n'était pas un si grand calvaire que d'avoir été surprise par la tempête. C'était pratiquement agréable comme ambiance. Bien que le fait d'être seule avec Kotan la dérangeait un peu. Il avait une mauvaise réputation. On le qualifiait de dragueur, de risque-tout, de menteur parfois. Mais pour le moment, ça allait. Il n'avait fait que la suivre. Même si elle ne savait toujours pas pourquoi. Tika du sortir de ses pensées car le guerrier lui apportait à manger. Elle s'assit sur une pierre plate et entama ses fruits.

-Tu sais ce qu’il y a aujourd’hui ?

De quoi parlait-il ? Savait-il ce qui la tracassait autant depuis son réveil ? Allait-elle enfin avoir une réponse ? Elle voulait en savoir plus.

-De quoi tu parles ?
-De l’événement qui n’a lieu qu’une fois par an en automne.
-Mais crache le morceau !
-Dans dix minutes.

Pourquoi dans dix minutes ? Argh ! Mais c'était quoi ? Et pour qui il se prenait pour la faire enrager de la sorte ? C'était inadmissible ! Mais elle se tu et continua son repas. Dix minutes de plus ou de moins de toute façon. Elle essaya de paraître sereine et patiente mais en elle, elle brûlait. Elle voulait à tout prix savoir. C'était comme un feu qui la consumait peu à peu. S'il ne lui disait pas de quoi il s’agissait, elle allait l'étrangler ! Quelque chose tomba sur ses genoux et Kotan, tout près d'elle, lui chuchota doucement :

-Bon anniversaire Tika.
-Mais ce n'est pas... Oh !

Elle s'en souvint alors. C'était son anniversaire ! Ce qui la tracassait toute la journée, c'était donc ça ! Mais personne ne s'en souvenait jamais, elle n'était plus une enfant. Ce n'était donc plus un jour spécial pour elle. Pourtant, sur ses genoux gisait une magnifique écharpe beige avec un motif en forme de biche brodé. C'était un travail incroyable ! Obtenir une teinte beige sur de la laine était déjà difficile mais broder une biche aussi ressemblante avec de la laine brune dessus, c'était quelque chose de très rare. Il avait du y passer des heures. Et la technique était impressionnante.

-Je... mais... tu n'aurais pas du...

Elle avait tourné la tête pour lui parler et se retrouva tout près de lui. Leurs visages étaient très proches, trop proches. Et pourtant, cela ne la gênait plus. Elle rougit à nouveau mais ne bougea pas. Il s'approcha. Leurs respirations n'étaient plus qu'une. Le regard de l'un plongé dans celui de l'autre. Le vert de leurs yeux reflétait la même émotion chez l'un comme chez l'autre. Quelque chose de rare, de rassurant, d'agréable, de déconcertant, de doux, de fort, d'inconnu, de mystérieux et d'incroyablement attirant. C'était magique. Pour rien au monde, on voudrait effacer de tels moments de sa mémoire. Le temps s'était arrêté, le clan, la guerre, le froid, la tempête. Tout avait disparu. Elle se rapprocha encore, ferma les yeux et...

-Hou ! Hou !

Un hibou qui passait par là les fit sursauter. Rouges comme des tomates, ils reculèrent. Tika souffla. Elle ne savait pas si elle devait étrangler ou remercier l'oiseau. Il l'avait empêché de... Non ! Elle ne voulait même pas y penser. Elle était fière, solitaire et totalement inaccessible ! Il fallait qu'elle trouve une excuse pour s'éloigner de lui.

-Je crois qu'il est temps de dormir, la tempête risque de durer toute la nuit.

Elle partit vers le fond de la grotte et récupéra sa cape qu'elle avait fait sécher. Grâce au feu, elle était complètement sèche. Tika la prit, l'étendit au sol et se coucha. Elle attrapa son sac et posa sa tête dessus. Enfin, elle serra l'écharpa très fort contre elle. "Comme elle sent bon..." Elle ferma ses yeux et tomba de suite dans un profond sommeil. Profond, mais elle ne ronflait pas, hein ! Ne vous faites pas d'idées. Elle vit passer les images de cette journée dans sa tête. Kotan revenait souvent. Ses cheveux blonds en bataille, ses yeux verts si beaux dans lesquels elle avait plongé et puis le moment où ils avaient été si proches. Tika savait maintenant si elle en voulait à l'oiseau ou s'il l'avait sauvée. Elle lui en voulait atrocement.

Kotan

-Mais ce n'est pas... Oh !

Ah, elle s'en souvenait. C'était quand même SON anniversaire. Kotan souriait. Il aimait la voir heureuse. Elle examina son cadeau. Elle avait l'air d'aimer. Kotan n'offrait que très rarement des cadeaux à des filles et quand c'était le cas, c'étaient des fleurs. Mais là, il avait voulu marquer le coup et faire quelque chose de spécial. Ce n'était pas une fille conventionnelle, c'était une fille compliquée. Il ne fallait donc pas de cadeau conventionnel mais un cadeau compliqué ! Sa logique était un peu tordue mais c'est le résultat qui compte ! Et celui-ci était parfait. Les yeux de la lieutenante brillaient devant le morceau de tissu. Bien. Tika tourna la tête et se mit à bafouiller :

-Je... mais... tu n'aurais pas du...

Elle se tu. Kotan se sentait bizarre. Il éprouvait un sentiment nouveau. Il avait déjà été très proche d'une fille. Il avait déjà embrassé une fille. Mais là, rien qu'en plongeant son regard dans le sien, son cœur battait à la chamade. Avoir le visage de la lieutenante si près du sien, pouvoir sentir son souffle, un seul mouvement et leurs lèvres se touchaient. Ils étaient si proches. C'était irréel. Il se sentait flotter au dessus du sol, il n'était plus dans la grotte mais dans les airs, auprès des plus belles étoiles di ciel et la plus belle, c'était Tika. Il se rapprocha un peu, un geste infime, à peine quelques millimètres plus près de son étoile. Elle fit de même, ils fermèrent les yeux. Tout était parfait, leurs lèvres étaient à un millimètre lorsque :

-Hou ! Hou !

Kotan sursauta. *Saleté de hibou ! Ou de chouette. Saleté quand même !* La guerrière recula et par respect, il s'éloigna aussi. Il y était presque ! Pourquoi faut-il que les oiseaux de nuit viennent lui gâcher sa soirée ?

-Je crois qu'il est temps de dormir, la tempête risque de durer toute la nuit.

Zut ! Bon, il avait put lui offrir son cadeau et elle n'avait pas reculé tout de suite. Il marquait des points. Mais c'était fini pour aujourd'hui. Il allait devoir attendre un autre jour pour lui déclarer officiellement ce qu'il ressentait pour elle. Dommage.

-Bonne nuit Tika.

Pas de réponse. Sa respiration était lente, elle devait s'être endormie. Le sommeil l'appelait également car une nuit blanche, ça fatigue. Cette aventure lui avait permit de comprendre une chose. Il n'aimait pas Tika comme les autres, il était amoureux d'elle. Et c'est avec cette idée heureuse qu'il s'endormit près du feu.
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Le lendemain, il faisait beau. Le soleil brillait presque autant que le visage du guerrier. Tika dormait encore. Par une pensée étrange, il fut convaincu que Tika préfèrerait se réveiller et rentrer seule. Il vit que le feu était presque éteint. Ce n'était pas grave, le soleil levant réchauffait toute la vallée. Il ramassa donc ses affaires et repartit vers le camp. Au passage, il cueillit le reste de framboises qui pendaient aux branches du petit buisson épineux et cueillit quelques châtaignes. Il rentra au camp rayonnant, le sourire aux lèvres. Il déposa sa récolte et demanda à Agnou si la patrouille de chasse était déjà partie. Comme ne n'était pas le cas, il délaissa sa lance et s'arma de son arc pour y participer. Il ignora totalement la jeune fille avec qui il devait se promener au champ fleuri. Tout allait changer dorénavant car celle qu'il aimait, c'était Tika et que personne ne lui arrivait à la cheville.

Le sourire aux lèvres, Tika s'échappa du monde des rêves pour revenir à la réalité. Elle ouvrit les yeux, s'attendant à voir apparaître les motifs de sa tente, et fut surprise de n'apercevoir que des parois rocheuses. En quelques secondes, la mémoire lui revint et elle chercha Kotan des yeux. Il n'était pas là. Aucune trace qui pourrait faire penser à l'éventuelle présence d'un autre guerrier. Etait-ce un rêve ? Une illusion ? Son imagination était-elle capable de se jouer d'elle à ce point ? Non. Ses sentiments étaient réels. Ils n'auraient pas pu naître d'une image illusoire. C'était leur amour secret, il existait autant que les oiseaux du ciel et les poissons des rivières, que les nuages blancs et les arbres verts, que les montagnes gigantesques et les fourmis minuscules. Pourtant, ils ne s'étaient pas vraiment déclarés leur flamme. Ils s'étaient seulement regardés de très, très, très près. Leurs yeux reflétaient leur amour mutuel mais ce n'était qu'une semi-déclaration. Un jour, elle lui dirait tout. Mais elle devait d'abord se concentrer sur son travail de lieutenante. Avec la guerre, elle devait se montrer encore plus implacable et redonner du courage à son clan. Cependant, quelque chose était différente chez elle. Elle était libérée. Libérée de son amour passé, de sa douleur, des larmes versées pour Terens. Elle était passée à autre chose. Son cœur battait enfin pour quelqu'un d'autre. Il battait pour une personne réelle et non pour un souvenir. Son regard n'était plus tourné vers le passé, mais vers le futur. Un avenir radieux aux côtés de son apollon se profilait à l'horizon. Combien de temps cela allait-il durer ? Des semaines ? Des mois ? Des années ? Ou bien pour l'éternité ? Elle verrait bien. Le présent était splendide, pourquoi envisager un avenir différent ? Tika se leva, ramassa ses affaires, épousseta sa cape et éteignit les braises qui restaient les seules témoins de la présence de Kotan dans la grotte. Elle mit sa cape et repartit vers le camp le cœur léger. Elle ferait comme si rien ne s’était passé même si elle aurait du mal à ne pas esquisser un sourire en croisant le beau guerrier. Personne ne le remarqua, mais elle avait laissé quelque chose là-bas. Volontairement. Au milieu des cendres gisait un pendentif en bois. Il était de forme ovale, taillée dans le bois des totems. Les inscriptions qui y étaient gravés étaient illisibles car usées par le temps et le feu. Mais dans les souvenirs de Tika, les mots "mon amour, je ne t'oublierais jamais" ne signifiaient plus rien. Elle n'avait d'yeux que pour Kotan. Ce n'était pas son physique mais son cœur d'or qui l'attirait le plus. Il était sensible sous sa carapace de dragueur invétéré et elle l'aimait. Oh oui elle l'aimait plus fort que tout, plus fort qu'elle même, plus fort que chaque chose sur cette Terre. Elle était à lui pour toujours. Et comme pour l'approuver, un vent chaud parvenant de l'EST lui fit tourner la tête. Les chasseurs de l'aube arrivaient et à leur tête, un guerrier blond aux yeux émeraudes.

Tika: 19 DDB
Dreno: 19 DDB